Embaumeuse de livres

Gorge 2017 (50X50)

La nuit de cristal 2017 (50X50)

Trace 2017 100X100

Onguents de verre, poudres de silice, fards d’oxydes naturels, parures d'or ou de cuivre...

Lentement, j’apprête les livres abandonnés pour leur crémation.L'improbable œuvre au noir de la fusion alchimique du papier et du feu, ces ennemis ancestraux, ressemble à de l'écorce. Désir profond des livres de retourner à la forêt originelle ou sortilège qui engage le feu à leur donner ce que ses flammes volent aux arbres ?

Mon travail prend la forme d'une archéologie du futur.Il soulève les questions de l’illusion, du renouvellement circulaire de la matière et de la complétion… Interrogeant l'histoire de l'humanité, de la transcription des codes du langage jusqu'à la crémation violente des livres, cette troublante matière est une allégorie de la poésie du vivant se renouveler.

Ma déclaration d'amour à la nature sauvage…

À l'heure de notre effondrement, l'émouvante métamorphose des livres en écorces nous offre l'espoir d'une possible transcendance...


La Caverne  2017  

La Caverne  2017

La Caverne  2017

Brûle, sorcière, brûle !

Ce sont des livres qu’elle a trouvés tout nus. Car, à l’instar des chiens encombrants pour des vacances paisibles, il est des individus qui abandonnent, le long de tristes autoroutes, leurs livres un peu vieillis.

Peut-être aboient-ils encore, mais ils perturbent les villégiatures. Mathilde Poulanges les recueille en passant. Pas comme une veuve solitaire ou la fourrière, ni une vétérinaire, non.

Ces livres abîmés ne sont pas sauvables : leurs mots s’effacent, leurs phrases se délitent, leurs pages s’obscurcissent, ils vont mourir bientôt, dans le caniveau et l’indifférence.

Alors, bonne fille, pour abréger leurs souffrances, elle les achève. Au chalumeau. Ce coup de grâce, pourtant, ne les détruit pas, bien au contraire, il les fige pour l’éternité comme la lave d’un volcan débordant ferait d’un gastéropode qui finira fossile. Éternel. Et comme le gastéropode, il finira précieusement conservé dans un musée.

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Des siècles durant, on a brûlé les femmes. Celles qui faisaient peur, celles qu’on ne comprenait pas, celles qui étaient à côté de la plaque, celles qui ne faisaient pas comme on a dit, ou simplement celles qui gênaient. Celles qui guérissaient (mais de quoi se mêlaient-elles, la médecine est un boulot d’homme), celles qui voulaient être des femmes libres ou qui ne voulaient pas dépendre d’un homme.

l était temps de les venger. Alors Mathilde Poulanges, sorcière vengeresse, brûle à son tour. Elle inverse la tradition, aujourd’hui c’est la sorcière qui brûle plutôt que d’être brûlée. Du coup, elle retrouve une autre tradition médiévale, celle du « monde à l’envers », sujet de tant de gravures et d’imageries. Comme ses ancêtres, elle fait corps avec la nature, puisqu’elle rend le papier, né de la pulpe végétale, au terreau nourricier.

Elle transgresse les tabous, car c’est une femme qui incendie et de surcroît ce qu’il y a de plus sacré : des livres.

La lecture des livres de Mathilde Poulanges est spéciale : on ne doit pas lire le texte du livre, mais lire le livre. L’auteur, qui sans doute rêvait d’un ouvrage incandescent, enflammant ses lecteurs dès les premières pages, n’imaginait pas, le prétentieux, que son talent soit insuffisant. Il fallait que Mathilde s’en mêle. Donc, elle torture les pages pour leur faire avouer ce qu’elles savent.

Car elle a les moyens de les faire parler ! Et voilà que les livres disent plus de choses qu’il n’en était écrit dans leurs pages. Plus que ce que leur auteur y a mis. Ils avouent tout : oui, un livre peut devenir une œuvre d’art ! Oui, un livre contient potentiellement plus de formes qu’un bête parallélépipède de papier ! Oui, un livre abandonné peut trouver un autre maître ! Oui, un livre peut devenir matériau ! Oui, un livre peut crier ! Et, oui, on peut brûler tout ce qui existe, le transformer en formes inquiétantes, en sculptures fragiles.

Comment ? Que dites-vous ? Oui, il y a tant de choses dans notre monde qui mériteraient d’être détruites par le feu, en effet. Il en faudrait, des Mathilde Poulanges, pour faire disparaître de la planète tout ce qui chaque jour nous éteint ! D’ailleurs, ce monde lui-même… ne serait-ce pas la solution première pour pouvoir le refaire en entier ? Eh bien, si j’en crois l’actualité, avec le réchauffement de la planète et les gigantesques incendies qu’il provoque, cela a déjà commencés ! La planète devient poulangère ! Alors, oui, brûle, sorcière, brûle !

Yves Frémion

M a t h i l d e P o u l a n g e s

Embaumer des livres

A l l o n s  p l u s  l o i n 

Notre espèce est celle de la trace.

Depuis nos origines, nous laissons des empreintes de notre passage, infimes tentatives de dessiner une mémoire que les quatre Éléments s'évertuent à effacer.

Ainsi avons-nous caché nos empreintes dans l'obscurité des mondes souterrains, appuyé nos traces jusqu'à les graver dans la rudesse de la roche et lentement élaboré la cognition de nos signes pour qu'ils traversent les générations et racontent notre aventure. Notre désir intuitif de survivance et de transmission engendra l'écriture.

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Et le livre fut. Les supports se succédèrent : tablettes, rouleaux, codex, livres brochés ou reliés, e.books ; les matières avec eux : argile, papyrus, soie, chanvre, parchemin de chiffons ou de sciure de bois, pâte à papier, fichier numérique. Depuis que le livre est papier, le Feu lui mène une guerre sans merci. Avec le développement de l'imprimerie, de sanctuaires mémoriels, les livres sont devenus objets de consommation.

Aujourd'hui soumis à la vindicte du jeunisme et du renouvellement perpétuel, marketés par les vulgaires lois du commerce, menacés par le grand remplacement numérique, ils subissent un féroce processus d'abandon... Vénérés tout autant que délaissés, ils sont produits et détruits en grande quantité par l'industrie de l'édition, vorace ogresse qui englouti des millions d'arbres et d'ouvrages en toute discrétion tout au long de son impitoyable chaîne de production...

Notre consumérisme effréné engendre des montagnes de déchets. Entre 140 et 150 millions de livres neufs finissent au pilon en France chaque année… Silence, on vend... Le tabou qui enfume cette réalité découle-t-il des autodafés perpétrés par les nazis au siècle dernier ? Il est vrai que l'idée de la destruction des livres nous est insupportable.

Notre vénération à leur endroit est de l'ordre du sacré, une déférence quasi-religieuse découlant sans doute de la préciosité des premiers ouvrages de papier (comment ne pas citer la Bible ?) et de la dextérité de leurs scribes. Autodafé est le seul mot contemporain qui désigne la destruction des livres. Issu du latin actus fidei - acte de foi, il désigne initialement la cérémonie de pénitence publique organisée par le tribunal de l'Inquisition Catholique et, par extension, toute exécution publique d'hérétiques par le feu.

Les effroyables bûchers de milliers d’ouvrages perpétrés par des étudiants allemands endoctrinés en 1933 ont fini de le ciseler… Les livres nous ressemblent, tous similaires et pourtant tous différents. Ils sont récipiendaires de la créativité et de l'expressivité de notre espèce, témoins intellectuels de notre civilisation. Sans doute est-ce pour cela que nous les aimons tant... Parce qu'ils nous permettent de nous inscrire dans un temps plus long que nos courtes et insignifiantes vies, le temps de l’Histoire Humaine. La menace fictionnelle qui pèse sur eux est une métaphore de notre propre déchéance. Les livres sont engloutis par l'industrie qui les produit, nous sommes dévorés par le système économique qui nous régit.

L'effet miroir est troublant... Je pratique le « faire » depuis l'enfance. Un cheminement manuel et spirituel qui m'a préparée au rituel funéraire que j’accomplis aujourd'hui : l'embaumement des livres abandonnés. Je ne suis pas critique littéraire, j'embaume tous les livres qui me sont donnés, sans autre appréciation que celle du toucher. Ainsi, chaque ouvrage recevra le même traitement : lecture d'une page, apprêt, crémation et scellement dans un cadre. Leur abandon par d'autres est-il caution morale ? Sans doute au départ, mais la culpabilité est affaire de croyance. Nous sommes les seuls chez qui l'inhibition n'entrave pas l'action, m'a soufflé Castoriadis.

Depuis j'agis. Détruire un livre n'est pas détruire une pensée ou condamner son auteur (les nazis ont perdu, ne l’oublions jamais). La matière se délite, les idées se transmettent. Dans le calme de l’atelier, onguents de verre, poudres de silice et d'oxydes naturels, parures d'or ou de cuivre enveloppent les livres pour l'ultime crémation.

Et bien que leur faire passer l'épreuve du feu fut une gageure symbolique, l'impertinence de ce dernier additionnée à mon audace nous ont menés vers un bien étonnant résultat : le fruit de l'accouplement improbable de ces ennemis ancestraux ressemble à de l'écorce... Cette métamorphose inattendue constitue ce que je nomme l'événement (avec une minuscule) : le moment-clé où une chose apparaît, une chose qui n’existait pas et qui existe maintenant.

L’équation était pourtant évidente : Un livre plus du feu égal des cendres… Un livre plus du feu égale une chose interdite… Un livre plus du feu égale une chose abominable… Et pourtant non. Le résultat fut autre. Le résultat fut ce cri des livres, silencieux et d’une incroyable beauté : NOUS SOMMES DES ARBRES... Vous arrachez, vous écrivez, vous publiez, vous entassez et vous oubliez tout !

NOUS SOMMES DES ARBRES, REGARDEZ, NOUS NE L’AVONS PAS OUBLIÉ. Et à ce moment-là, comment ne pas penser à ces êtres ancestraux et majestueux que nos tronçonneuses abattent sans vergogne... Que ce soit pour fabriquer le papier sur lequel nous couchons nos vanités, pour produire le charbon qui nous permet de griller la chair de nos esclaves animaux, pour bâtir, pour meubler, pour cultiver, pour chauffer, pour décorer, pour éclaircir, pour soumettre le vivant, ou simplement pour passer, nous abattons sans cesse... Oh ! Quel horrible bruit fait dans le crépuscule, les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule... Victor Hugo Mon travail prend la forme d'une archéologie du futur. Il soulève autant la question de l’extinction que celle de l'illusion.

Ce qui Est n'est, ni ce que l'on voit, ni ce que l'on croit voir. Ce qui est mort n’est plus, le retour en arrière est impossible et pourtant toute disparition n’est qu’une transformation. Et puisque les livres se souviennent des arbres qu’il furent, quoi se souviendra de nous ? Quelle sera notre équation ? À la croisée de multiples charges symboliques, ces autodafés sont mes actes de foi. Une mise en échec de la complétion et une déclaration d'amour à la nature sauvage… L'émouvante métamorphose des livres en écorces m'a offert l'espoir d'une possible transcendance. À l’heure de notre propre effondrement, je souhaite partager cet espoir avec le plus grand nombre.

CLOCHARDS CELESTES 

Nous, les artistes plasticiens vivant de leur art, du haut de notre pays éthéré où nous façonnons des images du monde en sirotant la pluie et en suçant les nuages, nous vous saluons.

Nous sommes les solitaires. Nous sommes les sans horaires, sans certitudes, sans perspectives financières.

Nous sommes les sans indemnités, sans chômage, sans retraite, sans congés payés, les sans chefs, sans règles et sans paroisses.

Outils d’une inspiration supérieure, nos mains façonnent la matière et disent le monde.

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Nous sommes les bouches vomissantes du monde, les conduits d’évacuations de la merde changée en poésie spatiale.

Dans la solitude de l’atelier, assis avec ce bon vieux pote, le doute qui remet systématiquement en question l’ouvrage en cours, nous créons. Pour ne pas imploser, pour exprimer ce que les mots refusent à nos maelstroms intérieurs.

Nous surfons la mélodie angoissante du monde pour en faire sa déferlante esthétique. Nous courbons, nous plongeons, nous buvons la tasse, mais nous tenons.

Nos égos servent à ça. À tenir.

Tenir debout, malgré les interprétations, les idéalisations et les appropriations, malgré les sarcasmes et les questions à la con : « Et sinon, vous avez un vrai travail ? »… No comment.

Tenir debout en sachant que notre art ne nous appartient pas, que nous sommes trop petits pour en être les créateurs, que nous sommes trop poreux les uns aux autres pour en être les uniques inventeurs, que nous avons trop agi pour être vraiment libres.

Tenir debout face au vide et se laisser gagner par le vertige...

Le laisser déployer ses ailes et s’abandonner.

Tenir debout, seuls, malgré tout.

Vous voyez, nos égos, ce sont nos armatures.

Et nous savons tout faire, même si nous ne savons faire que ça.

Depuis longtemps soumis à l’impitoyable loi du marché qui nous caresse dans le sens du poil pour défiscaliser ses profits honteux, nous, les affamés, n’avons hélas de statut que pour gonfler nos égos et partager nos recettes avec les vendeurs de murs, les organisateurs de salons, les galeristes et bien sûr avec l’état.

Nous travaillons gratuitement. Sans filets. Nos ouvrages remplissent les musées, mais les musées ne remplissent pas nos frigos. ..

Nous devons créer, chercher des lieux d’expo, remplir des dossiers, organiser les calendriers, accepter la compétition, se déplacer, accrocher notre travail, écrire sur notre travail, parler de notre travail, vendre notre travail, écouter les verbeux nous l’expliquer, les haineux nous envoyer à l’usine et les humbles trouver que l’on a de la chance d’être si libres...

En Covidie, ce nouveau pays abscons que nous habitons désormais, le roi a décidé que tel serait notre régime éternel. Nous n’aurions qu’à enfourcher le tigre et les plus précaires d’entre nous n’auraient qu’à se trouver un travail de l’autre côté de la rue...

Oui, nous sommes les seuls artistes à travailler gratuitement et nous ne souhaitons pas traverser la rue...

Alors, lorsque vous croiserez un plasticien, saluez-le, c’est un clochard céleste...

 

Mathilde POULANGES

Texte écrit pendant le troisième confinement

   de la pandémie totalitaire qui se répand sur le monde.

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N’hésitez pas à me contacter pour plus d’informations sur mes œuvres d’art.

Je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos demandes.